Le Guide du Rhum: comprendre la différence entre toutes les catégories
Nectar des pirates et remède miracle, l’histoire du rhum est riche en saveurs.
Bien que le berceau du rhum se trouve dans le golfe du Mexique, l’eau-de-vie issue de la canne à sucre connaît un rayonnement mondial. De plus en plus de régions s’attèlent à sa production, dans une palette de styles, de goûts et de couleurs aussi variées que les différentes îles et terroirs qui les produisent.
Les différentes classifications de rhums peuvent s’avérer être un casse-tête alors; larguons nos amarres et embarquons dans la découverte de ce spiritueux si populaire, mais toujours bordé de questions : qu’est-ce que le rhum et de quoi est-il fait? Quel est le choix adéquat pour mes cocktails? Pour la dégustation? Qu’est-ce qu’un rhum de type agricole? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre dans ce grand guide des rhums.
Le Rhum et ses origines
Une démarche titubante, un poignard dans une main et une bouteille douteuse dans l’autre, vous avez devant vous le plus célèbre émissaire du rhum: le pirate. Dans la construction de l’imaginaire de la piraterie, il semble que ce nectar des Caraïbes transformait les marins en flibustiers (vraisemblablement, la réalité n’était pas loin de la fiction!).
Le rhum est un spiritueux (ou eau-de-vie) issu de la fermentation puis de la distillation de produits et sous-produits de l’industrie sucrière, qui commença dans la région des Caraïbes il y a presque 400 ans. La canne à sucre est donc l’ingrédient indispensable, peu importe sa forme, pour la production du rhum. L’ampleur de l’industrie de la canne à sucre est telle qu’elle se place en tête des exploitations agricoles mondiales depuis des générations.
Le nom rhum a des origines obscures, mais découlerait du mot « Rumbullion » qui signifiait altercation ou bagarre .
À ce sujet, l’étymologiste Anatoly Liberman écrit : « Some details remain hidden, but one thing is clear: excessive consumption of rum results in violent behaviour. » Il semblerait que les premières distillations de rhum étaient très brutes, pleines d’impuretés et aucunement raffinées , tout comme le comportement des individus qui en consommaient.
Bien que vérifiée à l’époque, cette théorie inquiétante ne s’applique heureusement plus de nos jours, puisque ce spiritueux a su être apprivoisé et maîtrisé pour en extraire son plein potentiel.
La mélasse et l’envers du décor
Son histoire est gorgée de colonialisme et rythmée par l’essor de l’industrie sucrière qui appuie, en parallèle, la conception du rhum qui se développe dans les Antilles dans la fin des années 1600.
Les esclaves déportés d’Afrique travaillent la canne à sucre sans répit et doivent notamment disposer du déchet organique que le raffinage du sucre produisait: la mélasse. Chargé en sucres et minéraux, ce liquide foncé et visqueux semble un choix très pertinent pour l’élaboration d’un alcool, et devient le nectar des pauvres. Petit à petit, l’utilisation de la mélasse comme base de fermentation devient monnaie courante et est aujourd’hui le pilier d’une grande majorité des rhums qui se trouvent plus généralement sous la bannière « rhums industriels » ou « rhums traditionnels ».
Bien qu’aujourd’hui le choix de la mélasse soit majoritairement motivé par l’aspect économique et de régularité, l’alternative de la mélasse peut voir naître des produits très intéressants, qui visent un public différent de celui des rhums agricoles. Il existe des rhums de mélasses de haute qualité qui n’ont rien à voir avec les élixirs desquels s’imbibaient les pirates.
Le Rhum agricole
Nous avons maintenant compris que la mélasse est l’élément incontournable pour la production du rhum. Cependant, les premiers rhums distillés provenaient de la canne à sucre fraîche et demeurent le processus obligatoire dans de nombreuses îles des Antilles. La mention agricole impose donc au produit d’être élaboré à base de jus de canne à sucre fraichement pressé (vesou), cultivée sur le terroir propre à la distillerie.
Ce mode de production plus artisanal donne des rhums au profil plus végétal, iodé, ou la canne à sucre fraîche s’exprime plus vivement. Que cela soit en dégustation ou comme choix de rhum blanc dans les cocktails, cette alternative plus brute vous fera voir le rhum d’un angle plus authentique et en symbiose avec sa matière première.
Rhum industriel VS rhum agricole
Que cela soit à partir de mélasse ou de canne à sucre fraîche, vieilli ou non, le rhum trouvera ses spécificités en fonction des lois inhérentes à chaque région qui en produit. Par exemple, certains pays imposent dans leur cahier des charges de faire vieillir le spiritueux dans des barils de bois, alors que d’autres autoriseront l’ajout de colorants et caramels alimentaires pour modifier l’apparence et le goût du produit. Comme dans tous types de spiritueux, on retrouve des bouteilles de bonne et de moins bonne qualité, autant du côté industriel qu’agricole. Le choix dépend de vos préférences, puisque les deux offrent des expériences différentes.
L’âge et l’élevage du Rhum
De l’alcool du peuple à un produit de dégustation raffiné, ce spiritueux ne cesse d’être mis à l’épreuve afin d’en tirer le meilleur. Malgré le fait que certains rhums à l’aspect foncé ne riment pas avec qualité, le processus de vieillissement des rhums vieux antillais requiert de la patience et la maîtrise de l’art de la tonnellerie. En effet, le choix du fût de bois (taille, contenu précédent…) dans lequel le rhum clair va mûrir et développer sa personnalité et ses couleurs est crucial. Que cela soit de quelques mois à plusieurs années, le temps passé dans le fût aura une incidence essentielle sur le profil du Rhum.
Le chiffre qui apparaît sur la bouteille représente l’âge du plus jeune rhum qui a servi à l’assemblage. Par exemple, dans une bouteille de 8 ans d’âge, il se peut qu’une petite proportion du mélange soit issu d’un baril plus vieux, mais jamais d’un plus jeune.
Sistema solera
La méthode Solera est généralement associée au rhum industriel de tradition espagnole. Il s’agit d’une méthode de vieillissement et d’assemblage propre à l’élaboration du xérès (sherry, en anglais). Grosso modo, cela consiste à empiler les fûts et faire une remise à niveau entre les fûts plus jeunes et les plus vieux chaque fois qu’on tire du liquide. Cela permet un vieillissement plus dynamique, ce qui en résulte à des rhums d’une grande buvabilité comme le Ron Zacapa 23. Par contre, plusieurs critiquent le manque de transparence, puisque le chiffre sur la bouteille ne représente pas l’âge réel du vieillissement du distillat.
Autres types de rhum
Chaque produit s’accompagne de son profil aromatique, son caractère ainsi que son rôle idéal. La classification catégorise les différents rhums en leur qualité d’âge, mais aussi en fonction de leur provenance.
Connaissant une résurgence bien méritée, le rhum se présente aujourd’hui sous de nombreuses formes dérivées ; en voici quelques exemples:
Rhum Jamaïcain
Le rhum jamaïcain découle d’une tradition de production anglo-saxonne (puisque l’île a été annexée par la couronne anglaise), et son élaboration reste unique, avec un système de distillation bien précis. Bien qu’habituellement connus pour son profil lourd, les rhums de Jamaïque ont su recevoir leurs lettres de noblesse à travers le temps et se sont raffinés.
Les rhums jamaïcains trouvent très bien leur place dans les cocktails Tiki, comme le Mai Taï.
Rhum blanc
Un Rhum blanc (qui ne connaît que peu ou pas de vieillissement), dégage habituellement des notes de banane, miel, fruits exotiques ou encore de thé. Bien que ces arômes demeurent très subtils, ils en font un outil parfait pour la confection des cocktails classiques. Mis à part les recettes plus avancées ou Tiki, le rhum blanc remplit parfaitement la mission du protagoniste de nos cocktails, comme nous le prouve le Mojito.
Rhum ambré
Après quelques mois, un rhum gardé en fûts de bois (aussi appelé foudre) devient ambré. Ce terme renvoie à sa couleur, mais dévoile aussi une palette de saveurs différente: des arômes légers de bois et d’épices et une rondeur plus gourmandée en font un produit hybride qui contente en dégustation, mais aussi pour enrichir le caractère de certains cocktails.
Rhum brun ou rhum vieux
Si un rhum atteint un vieillissement supérieur à quelques années (les lois diffèrent selon les îles / pays), il tombe alors dans la catégorie des rhums vieux ou rhum brun. Ces nectars deviennent complexes et soyeux, et génèrent généralement des arômes de vanille, caramel blond, épices et fruits secs et parfois du tabac. Ces attributs en font des produits de dégustation distingués et raffinés. Sa dégustation peut se faire seule pour permettre de déceler le plus d’arômes possible ou bien avec un peu de glace pour atténuer le côté râpeux de l’éthanol.
Il faudra garder en tête que malgré le fait que ces notes de dégustation soient récurrentes, les éléments qui rentrent en compte pour la production d’un rhum et son vieillissement peuvent considérablement varier, ce qui donne toutefois accès à une multitude de produits qui capturent réellement le terroir sur lequel ils sont manufacturés.
Enfin, même si l’élevage en barrique de bois confère l’authenticité et l’allure au produit, il n’est pas rare qu’on y rajoute certains caramels ou colorants pour ajuster et étoffer leurs notes et couleurs.
Rhum overproof
Comme son nom l’indique en anglais, un rhum overproof contient une teneur en alcool plus élevée, qui atteint parfois le double du taux habituel. Ces rhums sont très prisés dans la culture Tiki et permettent l’ajout du punch au cocktail.
Rhum épicé et rhum noir
Ces rhums sont généralement agrémentés de caramels alimentaires et épices ajoutés qui permettront aux qualités initiales d’un rhum d’être accentuées, voire même exagérés. Cette gamme s’adapte aux palais plus avides de sucre et d’arômes marqués d’épices. Il est parfois vu d’un mauvais oeil par les puristes, mais peut s’avérer accessible et intéressant.
Le rhum aromatisé
Les rhums aromatisés se trouvent en de nombreuses saveurs et ont souvent une teneur en alcool moins élevée et un taux de sucre plus conséquent. Les arômes y sont généralement artificiels, mais s’avèrent intéressants pour réaliser certains mélanges, ou bien comme choix alternatif à des rhums plus puissants et secs. En fonction de leur qualité, les rhums aromatisés dégageront des arômes soit subtils, ou alors plus francs et artificiels.
Le rhum arrangé
Le rhum arrangé est une préparation de rhum dans laquelle ont macéré divers ingrédients tels que des feuilles, des fruits, des graines, des écorces ou des friandises. C’est une boisson emblématique à La Réunion, mais commune aussi aux Antilles et à Madagascar. C’est aussi une très bonne façon d’expérimenter à la maison!
Le Québec, un producteur de rhum ?
Bien que la canne à sucre ne survivrait pas au climat de la belle province, nous avons tout de même accès à de plus en plus de produits marqués par la touche québécoise. Dans certains cas, la mélasse est importée des Caraïbes et ensuite distillée dans les alambics de la distillerie. Dans d’autres cas, le producteur québécois sélectionne un rhum déjà distillé et y ajoute une aromatisation personnalisée, avec des ingrédients du terroir. Le déploiement des produits québécois est encore très récent, mais il ne manque pas de passionnés, on peut prédire qu’au cours des prochaines années, plusieurs distillateurs québécois tenteront de donner un visage local à ce nectar des îles.
Peu importe ce qui motive votre approche du rhum, il y aura indéniablement un produit qui pourra potentiellement rejoindre vos préférences. Que cela soit pour mixer un simple Rhum and Coke, ou alors pour l’élaboration de cocktails jusqu’à l’expérience d’une dégustation, il existe autant d’options, locales ou non, qui sauront trouver une place de choix dans votre bar.